On reproche volontiers à l'individualisme d'avoir fragilisé l'institution familiale et dévalorisé toute forme de pérennité, à commencer par le souvenir des aïeux. Le lien de filiation serait-il devenu un lien comme un autre, rétréci à une relation entre personnes qui ne s'éprouve qu'au présent ? Sitôt les morts trépassés, s'efforcerait-on de les oublier ?Cet ouvrage, fondé sur l'analyse de nombreux entretiens et observations, conteste cette idée. Non, le souvenir des morts ne s'est pas tari. Oui, les contemporains continuent à se figurer le lien de filiation comme un lien spécifique, irréductible. Se souvenir permet de s'affilier, d'affirmer son identité et de conjurer l'angoisse de la mort.
Mais l'individualisme n'est pas sans effet : le souvenir des morts est aujourd'hui l'affaire de chacun plus que du groupe de parenté. Le pèlerinage au cimetière à la Toussaint se maintient, mais perd de son emphase. La mémoire n'implique plus un devoir d'allégeance et de fidélité aux origines. Cessant d'être une institution sociale, la lignée devient un imaginaire au service de la conscience personnelle.