Séminaires de direction d'études (EHESS)

Après plusieurs années d’élaboration de la théorie de l’attachement social, le séminaire 2022-2023 avait pour objectif d’envisager l’attachement social, aussi bien à l’échelle locale qu’à l’échelle supranationale. Le séminaire a abordé ces deux échelles successivement, ces deux problématiques ayant été reliées au moment de la synthèse, lors de la dernière séance.

Nous avons commencé par examiner la dynamique de l’attachement social dans  les quartiers riches et les quartiers pauvres en relevant, à partir de plusieurs enquêtes, les principales différences entre eux. L’attachement social dans les quartiers riches repose sur le sentiment de partager avec les habitants du quartier les mêmes valeurs (cohésion normative), les liens sociaux dans le quartier ne sont pas forcément très forts car les habitants du quartier ont beaucoup de liens sociaux à l’extérieur, mais la sociabilité ordinaire et le sens partagé de la civilité assurent la tranquillité de tous. L’attachement social dans les quartiers pauvres correspond à un mode de résistance à la pauvreté par des liens sociaux forts fondés sur des solidarités de proximité. Mais le quartier en lui-même est la plus souvent un espace contraint, doté d’une mauvaise réputation, qui ne se prête pas à un fort attachement. Il se caractérise par des divisions internes et entretient un sentiment d’insécurité. De nombreux habitants de ces quartiers pauvres expriment le plus souvent un souhait de déménager tant l’espace de ce type de quartier leur procure de nombreuses frustrations. Dès lors, à l’attachement social on peut opposer le processus contraire, à savoir le détachement social. Il s’avère donc intéressant d’étudier les aspirations et les stratégies d’ascension sociale dans ce type de quartier et d’étudier la transformation des rapports sociaux qui traduisent une forme de détachement social vis-à-vis de certains groupes jugés « indésirables » (prise de distance vis-à-vis de certains habitants, volonté de distinction sociale…). Dans cette perspective, nous avons repris les travaux classiques sur le rapport à l’école dans les quartiers populaires, notamment la belle enquête de Paul Willis sur L’école des ouvriers, mais aussi des travaux plus récents, comme ceux de Daniel Thin et de Pierre Périer. L’école est-elle considérée par les habitants de ces quartiers comme un tremplin pour réussir une ascension sociale fondée sur la réussite des enfants, les parents s’y investissent-ils en essayant de peser sur l’orientation et la trajectoire scolaire de leurs enfants ou sont-ils, au contraire, défaitistes en adoptant une attitude de repli ? Enfin, nous avons tenté de savoir si les aspirations et les stratégies d’ascension sociale dans les quartiers populaires se nourrissent d’une représentation spécifique des autres classes sociales, en particulier des riches ? A quel groupe social les habitants de ces quartiers se réfèrent-ils lorsqu’ils rêvent d’ascension sociale ? Souhaitent-ils devenir riches ou conservent-ils une hostilité à l’égard des riches et de la richesse ? Nous avons réexaminé dans cet esprit les écrits de Merton, notamment sur la théorie du groupe de référence et les concepts de socialisation anticipatrice et de conformisme anticipateur.

La partie du séminaire consacrée à l’échelle supranationale de l’attachement social a été introduite par une relecture des travaux théoriques de Norbert Elias (publiés dans le volume La société des individus).  Son constat « que de nos jours, au lieu des différents Etats, c’est l’humanité tout entière en tant qu’entité sociale divisée en Etats qui sert de cadre à un grand nombre de processus d’évolution et de changements structurels » a nourri notre réflexion dans le prolongement de la notion d’attachement à l’humanité discutée par Durkheim. Dans cette perspective, comme le souligne Elias, « c’est la réunion de tous les Etats dont se compose l’humanité qui devra être prise comme unité de base, comme modèle de ce que l’on entend par société et donc comme cadre de référence de nombreuses études de sciences sociales. »

Pour prolonger cette réflexion, nous avons repris les analyses sur la doctrine du solidarisme telle qu’elle a été développée dans les relations internationales, ce qui nous a conduit à poser les bases de ce que l’on pourrait appeler un « solidarisme planétaire » en nous inspirant de recherches éthiques et philosophiques de Serge Audier sur La Cité écologique. Ce solidarisme planétaire appellerait alors le dépassement des quatre régimes d’attachement social (examinés précédemment dans le séminaire) au sens où chacun d’entre eux serait conduit à déployer sa force intrinsèque à l’échelle supranationale, celle de l’humanité tout entière.

Le séminaire a été l’occasion d’accueillir plusieurs invités étrangers : Eiji Kawano, professeur de sociologie à l’Université métropolitaine d’Osaka sur « la ségrégation spatiale au Japon » ;

Antonella Coco, professeure de sociologie à l’Université de Calabre. sur « Community, Politics and Social Inequalities in the South of Italy » ; Sonja Kosunen, professeure à l’Université d’Helsinki sur « Les cycles de la ségrégation éducative :  réflexions sur la ségrégation urbaine, scolaire et des enseignants en Finlande ». Plusieurs doctorantes ont également présenté l’avancement de leurs travaux respectifs en lien avec la thématique du séminaire : Anne-Léa Bauquis, Honorine Goueth, Cléo Marmié, Lucie Lepoutre et Sabrina Zennia.

Serge Paugam, L’attachement social. Formes et fondements de la solidarité humaine, Paris, Seuil, 2023.

Serge Paugam, « Le sociologie face à son destin », préface à Raymond Aron, Critique de la pensée sociologique. Cours du Collège de France 1970-1971 et 1971-1972, Paris, Odile Jacob, 2023, p. 9-21.

Serge Paugam, « Social Disqualification », Encyclopedia of Quality of Life and Well-Being Research, Springer Cham, on-line, sous la direction de Filomena Maggino, 2023.

Serge Paugam, « Social Attachment », Encyclopedia of Quality of Life and Well-Being Research, Springer Cham, on-line, sous la direction de Filomena Maggino, 2023.

Ce qui nous lie, dossier coordonné par Benoît Guillou et Serge Paugam, Revue Projet, hors-série, 2023.