Séminaires de direction d'études (EHESS)http://www.ehess.fr/fr/enseignement Sociologie des inégalités et des ruptures socialesSerge Paugam, directeur d'étudesCompte-rendu 2015-2016 : L'économie morale des liens sociaux. Sociologie comparée de l'attachementlire le programme | version imprimable Dans le prolongement du séminaire de l'année dernière, l'objectif était d'analyser comment les liens sociaux sont entrecroisés de façon normative dans chaque société et comment à partir de cet entrecroisement spécifique se produit la régulation de la vie sociale. On a ainsi repris la typologie des régimes d'attachement (familialiste, volontariste, organiciste et universaliste) en continuant de mettre à l’épreuve ce cadre analytique à partir de données empiriques issues d’enquêtes quantitatives ou qualitatives, réalisées aussi bien à l’échelle locale (dans les espaces urbains notamment) qu’à l’échelle nationale (comparaison de grandes enquêtes sur les conditions de vie et les valeurs). Nous avons tout d'abord repris la discussion sur le concept d'économie morale à partir de la relecture des travaux de Edward P. Thomson, notamment de son livre sur La formation de la classe ouvrière anglaise, et des principaux auteurs qui ont eu recours à ce concept. Ce réexamen critique nous a conduits à revenir sur plusieurs points conceptuels de la théorie sociale de l'attachement. C'est ainsi que nous avons essayé d'établir un lien entre le type de socialisation des conflits sociaux - plus ou moins organisé et régulé selon les sociétés - et les types de régimes d'attachement. Nous avons également distingué les liens sociaux selon la plus ou moins forte intensité de la protection et de la reconnaissance qu'ils apportent aux individus en recherchant les conditions sociologiques et historiques de la formation des "liens qui libèrent", mais aussi des "liens qui fragilisent" et des "liens qui oppressent". Enfin, pour clarifier la question sous-jacente du désintéressement que certains auteurs intègrent dans leur définition de l'économie morale, nous avons repris des enquêtes récentes sur l'altruisme et l'engagement volontariste dans le secteur humanitaire. Une autre perspective a consisté à distinguer les différents niveaux d'analyse impliqués dans la théorie de l'attachement et à rechercher leur possible articulation. Le premier niveau est celui de l'individu et de sa formation psychologique, niveau qui repose entre autres sur les travaux du psychiatre John Bowlby (il s'agit alors d'étudier l'empreinte durable du lien originel de l’enfant à la figure de l’adulte en charge de lui procurer la sécurité dès les premiers mois de sa vie). Le deuxième niveau est celui de l'attachement de l'individu aux groupes et à la société. Il correspond traditionnellement au domaine de la sociologie qui prend en compte aussi bien la question des inégalités que celle de l'intégration sociale. Enfin, le troisième niveau correspond au travail normatif des sociétés dans le sens de la régulation sociale, lequel ne peut être appréhendé qu'à partir de comparaisons et de croisements d'échelles dans une perspective qui implique l'ensemble des sciences sociales. Comment articuler ces trois niveaux ? Comment passer de la théorie psychiatrique de l'attachement à une théorie sociale plus large ? Telles sont les questions qui ont nourri plusieurs séances et auxquelles des réponses au moins partielles ont pu être apportées à partir de plusieurs exposés. Le psychologue de la jeunesse, Sébastien Dupont, nous a enrichis en exposant de façon synthétique les travaux contemporains sur le concept d'attachement dans le prolongement de Bowlby et en nous montrant l'usage qui peut en être fait dans la pratique de la psychiatrie. Teemu T. Kemppainen, de l'Université d'Helsinki, a examiné le régime universaliste d’attachement à partir du cas de la Finlande. Emiko Ochiai, professeure à l'Université de Kyoto a présenté ses recherches sur ce qu'elle appelle les "Care Regimes" en prenant l'exemple de plusieurs pays d'Asie. Benoît de l’Estoile a examiné, à partir du cas brésilien, la complexité des relations entre les patrons et les employés domestiques, ce qui a permis d'approfondir les formes de la pénétration de la morale familialiste dans les rapports professionnels. Denis Segrestin est revenu sur son livre Le phénomène corporatiste publié en 1985 afin d’aborder la question des systèmes professionnels en France dans la perspective des régimes d’attachement. Des doctorants ont également enrichi le séminaire à partir de leurs propres expériences de recherche. Caroline Taieb, qui enquête sur les formes de discrimination à l'égard des Burakumin au Japon, a mobilisé de nombreuses sources statistiques pour tenter de vérifier dans quelle mesure le cas japonais est proche du régime d'attachement familialiste. Iva Čápová a repris les premiers résultats de son terrain en Inde rurale dans la zone frontière entre les Etats du Jharkhand et du Bihar et ses récentes lectures pour faire ressortir les particularités indiennes du régime d'attachement où le familialisme se conjugue avec le système des castes. Enfin, Nicolas Deffontaines dont la thèse porte sur le suicide des agriculteurs a réexaminé à partir de son enquête le type du suicide fataliste, ce qui a permis d'ouvrir une discussion sur les liens qui oppressent. Par ailleurs, nous avons repris la question de l'articulation des échelles d'analyse dans les comparaisons. L'enquête récente réalisée sur la perception de la pauvreté dans les quartiers riches de Paris, São Paulo et Delhi (réalisée au sein de l'Eris du CMH) a été l'occasion d'analyser l'effet conjoint de trois niveaux : le niveau de quartier de résidence, le niveau de la métropole et le niveau national. Le même type de problématique articulant ces trois niveaux a été examiné à partir d'une autre enquête (également réalisée au sein de l'Eris) sur les liens sociaux dans les quartiers populaires de la ville de São Paulo et de la région parisienne. Pour compléter cette analyse, Gérôme Truc nous a présenté sa recherche sur les réactions spontanées de compassion et de solidarité à l'égard des victimes des attentats, ce qui a ouvert un débat sur la dimension supranationale de l'attachement solidaire. Publications : Autres - Les formes élémentaires de la pauvreté, traduction en japonais, 2016. - "Etudier les inégalités de l'intégration sociale, force, faiblesse et rupture des liens sociaux", Quaderni "Cesare Alfieri", n° spécial "Felicità e benessere. Una ricognizione critica", Studi e Saggi 146, Firenze University Press, 2015, p. 149-182. - "Histoire et philosophie des minima sociaux en France" in Lim Wansub (dir.) L'aide sociale en France, Séoul, Korea Institute for Health and Social Affairs, 2015, p. 83-108 (publié en coréen). - "Social Bonds and Coping Strategies of Unemployed People in Europe", Italian Sociological Review, 6 (1), 2016, p. 27-55 [Retrieved from http://dx.doi.org/10.13136/isr.v6i1.122]. - "La perception de la pauvreté sous l'angle de la théorie de l'attachement. Naturalisation, culpabilisation et victimisation", Communications, n° 98, 2016, p. 125-146. - "Poverty and Social Bonds: Towards a Theory of Attachment Regimes" in Lutz Raphael, Tamara Stazic, Beate Altahmmer (eds) Rescuing the Vulnerable: Poverty, Welfare and Social Ties in Modern Europe, New York, Bergham Books, 2016, p. 23-46. - "The Levels of Social Integration. Analysing Inequalities from a Social Bonds Perspective" in Axel Franzen, Ben Jann, Cristian Joppke and Eric Widmer (eds) Essays on inequality and integration, Zurich, Seismo, 2016, p. 17-45. - "How do the rich see the urban poor? Investigating the meaning of inequality in Paris, Delhi and São Paulo" (avec Bruno Cousin, Camila Giorgetti et Jules Naudet) in Hilary Silver (ed.), Comparing Cities, London, Routledge, à paraître en 2016. - "Pauvreté et vulnérabilité en période de crise", Cahiers français, n°390, 2016, p. 2-7. - Préface à Laure Hadj, Politique de développement et pauvreté en Nouvelle-Calédonie, Paris, L'Harmattan, coll. "Populations", 2016, p. 7-9.
lire le programme | version imprimable |
© 2024 - Serge Paugam - Tous droits réservés - mentions légales |